Chacun voit midi à sa porte. Pour Nicolas Sarkozy, le bilan de la loi de sécurité intérieure, votée le 18 mars 2003, est positif. Pour les prostituées et les associations qui les épaulent, il est désastreux. Le ministre de l'Intérieur voulait balayer les trottoirs. Mission accomplie: les filles se sont rabattues sur les bois, les parkings et les abords des autoroutes, où elles tapinent dans la nuit noire, outre les saunas et les sous-sols de discothèque. Passibles de deux mois de prison et de 3 750 euros d'amende pour racolage - désormais considéré comme un délit - les prostituées, devenues délinquantes, se terrent. Du coup, clients et policiers se croient tout permis.
Dans un rapport remis à la mairie de Paris, Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au CNRS, cite de nombreux témoignages de péripatéticiennes de la capitale évoquant des courses-poursuites avec plaquages au sol, des gazages à la bombe lacrymogène, voire du chantage sexuel de la part des agents… «Loin de protéger les personnes prostituées, la loi les met en danger», tranche la sociologue. Pourtant, si les PV pleuvent, les condamnations sont rarissimes. Car la sanction importe moins que la crainte qu'elle suscite, semblent penser les juges avec Nicolas Sarkozy. Le ministre de l'Intérieur se veut pragmatique. Et ça marche. Harcelées, soumises à des gardes à vue de quarante-huit heures, les jeunes femmes embrigadées par les mafias finissent parfois par accepter le donnant-donnant prévu par la loi: un nom contre des papiers.
150 étrangères - dont 90 «Parisiennes» - ont ainsi obtenu un titre de séjour provisoire et un permis de travail en échange de l'identité de leur(s) tortionnaire(s). 22 réseaux ont été démantelés, dont 15 à Paris, où triment la moitié des 15 000 à 18 000 prostituées - bulgares et nigérianes notamment - recensées par l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains.
Pour les victimes «repenties», le tableau est plus contrasté. Seules 57 d'entre elles ont bénéficié du dispositif Ac-sé, chargé de placer les filles des réseaux dans des centres d'hébergement éloignés de leur lieu d'exploitation. Les autres ont croisé la route de travailleurs sociaux ou se sont tout bonnement volatilisées. Loin des grands boulevards.